Yazid et le fauteuil
Relato
SABROSÓN N°0
Habib Tazi
12/1/2023

Yazid est encore en retard
Il s’était préparé longtemps à l’avance. Il s’était habillé, coiffé, chaussé et avait fait le chemin mentalement. S’il partait tout de suite, il arriverait en avance. Il ne voulait pas attendre à l’intérieur de peur de paraître trop peu occupé. Il ne voulait pas non plus attendre à l’extérieur, il aurait le temps de suer à grosses gouttes sous cette chaleur.
Yazid, sans vraiment s’en rendre compte, se souciait beaucoup de ce que les gens pouvaient penser de lui, surtout s’ils ne les connaissaient pas. Pour lui les premières impressions comptent et il s’attachait à tout faire pour en donner une bonne, mais il le nierait si on lui faisait la remarque.
Il a décidé d’attendre chez lui avant de sortir. Il s’est assis sur le fauteuil de l’entrée. Il ne se sentait pas particulièrement anxieux mais essayait tout de même de minimiser l’importance de son rendez-vous, en s’évadant dans ses pensées.
Il tentait d’évaluer le nombre de personnes ou le nombre de fois où des personnes s’étaient assises sur ce fauteuil qui siège chez lui depuis quelques années déjà et que son père avait chiné aux puces. Ce fauteuil avait donc eu une autre vie. Cela rendait l’exercice plus compliqué car cette autre vie avait été effacée par le père de Yazid, avec la complicité d’un tapisseur très porté sur le rouge et ses nuances.
En tous cas, il était assez difficile de donner un âge à ce fauteuil retapissé. Mais avant de répondre à la première question, d’autres venaient à l’esprit de Yazid : Il s'imaginait mal comment son père, normalement peu intéressé par les sujets d’ameublement, s’était retrouvé à acheter un fauteuil aux puces. Peut-être un coup de foudre, aussi fort qu’inattendu pour ce fauteuil précis ? Yazid ne trouvait rien de particulier à ce fauteuil. Le jour où ce dernier avait fait son arrivée dans l’appartement familial, tout le monde devait être trop occupé pour s’en apercevoir. Ce qui est sûr c’est que le fauteuil n'était initialement pas situé là : perdu et seul près de la porte de l’appartement. La mère de Yazid devait y être pour quelque chose, il croit se souvenir qu’elle avait un jour fait une remarque à son père du type : Ne retournes jamais sans moi aux puces ou chez un tapisseur. Elle ne devait pas partager les goûts de son mari en termes de fauteuil et ceux du tapissier en termes de couleurs.
La porte s’ouvre, c’est justement sa mère qui entre, elle écarquille grand les yeux en le trouvant devant elle et sur ce fauteuil sur lequel personne ne s'asseyait jamais, sauf son mari souvent après une querelle.
Yazid se précipite à l’extérieur. Il fait chaud et l’atmosphère est irrespirable. Yazid ne s’en rend pas compte, il marche vite et hésite à prendre un taxi. Il traverse les rues en slalomant entre les voitures et leurs pots d’échappement, il passe d’un trottoir défoncé à l’autre en évitant les passants.
Il se présente couvert de sueur à la secrétaire. Elle lui fait remarquer son retard. Il répond qu’il était en rendez-vous et demande s’il peut entrer dans le bureau. Elle acquiesce, le notaire l’attend pour signer les documents de l’héritage.
Quand il retourne chez lui, il voit sa mère les larmes aux yeux assise sur ce fauteuil qui trône maintenant dans le salon.
Habib Tazi